L’Allemagne est-elle raciste par intérim ?

L’Allemagne est-elle raciste par intérim ?

La fameuse compétitivité allemande se fait sur le dos des intérimaires. La sueur des étrangers en est la monnaie.

 

Christine Lagarde, ancienne ministre de l’Économie française, et actuelle directrice du Fonds Monétaire Internationale, déclarait en mars 2010 son amour du modèle germain : «Il est clair que l’Allemagne a accompli un excellent travail au cours des dix dernières années, améliorant sa compétitivité, exerçant une forte pression sur ses coûts de main-d’œuvre.» Mais quelle baguette magique a-t-elle été utilisée il y a dix ans sur les « coûts de main d’œuvre » ? En fait, plutôt qu’une baguette magique, ce fut un coup de fouet qu’on a appelé : « l’Agenda 2010 ». C’est le petit nom des grandes réformes structurelles menées en Allemagne par la coalition SPD-Les Verts entre 2003 et 2005. L’Agenda 2010 a réformé le marché du travail (réformes Hartz principalement) sous la houlette du chancelier Gerhard Schröder. Le but : déréglementer le marché du travail, notamment le travail intérimaire, Arbeitnehmerüberlassung, appelé plus souvent Leiharbeit, autrement dit : travail « prêté ». Résultat des réformes : une explosion des emplois précaires, du temps partiel et de l’intérim. Tout le monde travaille, dans des conditions précaires, un peu, et à n’importe quel prix : pour la même voiture, « Un [salarié] ouvrier en CDI gagne 15 euros de l’heure pour monter la portière gauche, et l’intérimaire qui monte celle de droite 8,50 euros. Ahurissant » comme s’en étonne le quotidien économique allemand Handelsblatt. Malgré tout, ça donne des idées. En 2010, 43% des nouveaux emplois étaient intérimaires.  

Du point de vue du travailleur, pourquoi aller vers ça ? Parce qu’à première vue, il n’y a pas grand-chose d’autre à faire. L’Allemagne, et ses 80 millions d’habitants, c’est presque 3 millions de chômeurs. Proportionnellement moins qu’en France. Mais selon l’institut du travail de Duisbourg, le modèle socio-économique allemand, vanté par les libéraux déconnectés de la réalité, compte « 6,5 millions de salariés pauvres, qui touchent moins de 10 euros de l’heure ». Ce n’est pas tout. « Deux millions de personnes perçoivent un salaire inférieur à 4 euros de l’heure, soit 720 euros par mois pour un emploi à temps plein ». En Allemagne, 70% des chômeurs vivent sous le seuil de pauvreté contre 45% en moyenne pour l’ensemble de l’Union européenne. Ach so… autant vite retrouver un emploi, même « prêté ». Aujourd’hui, l’Allemagne exploite bientôt 1 million d’intérimaires.

Le travail précaire augmente

Ce chiffre est en constante augmentation. Selon l’agence fédérale pour l’emploi, le nombre de travailleurs intérimaires en Allemagne a « augmenté de 13 % en un an, atteignant 910 000 personnes en juin 2011 ». L’Agenda 2010 a permis l’âge d’or du travail précaire : ses réformes Hartz ont fendu le bouclier d’une loi de 1972, une loi qui interdisait l’emploi répété, et l’utilisation de l’intérim dans certaines branches comme le bâtiment, et obligeait un traitement égal des intérimaires et des salariés. Tout ça c’est fini. Avant ces réformes, c’était 24 mois maximum. Après les réformes Hartz, plus de limites pour la durée des missions. Du coup sur l’ensemble des contrats intérimaires, seule la moitié durent moins de trois mois. « Le travail stable recule et le travail précaire augmente sans cesse », constate amèrement Detlef Wetzel, vice-président du grand syndicat de la métallurgie et de l’automobile IG Metall. Sa parole n’est pas anodine : la métallurgie allemande a ferré 200 000 intérimaires. Enorme. Et comme lui, amer on peut l’être : le revenu mensuel des intérimaires du secteur est de 30 à 40 % inférieur à celui des salariés en CDI. 30 à 40% ! Le plus bas salaire s’élève à 1 900 euros par mois. Pour le même poste, et pour le même travail, à l’Ouest, l’intérimaire se contente de 1 200 euros, et à l’Est de 1 063 euros. Presque la moitié ! Mais, et je vous le donne en mille, qui sont proportionnellement les plus touchés ?

Les chiffres ne sont jamais racistes. Mais quand on tend l’oreille, ils traduisent parfois une réalité qu’on ne voudrait pas entendre, même dans la patrie de Jean-Sébastien Bach. Quand on ajoute les 7,5 millions de «mini-jobbers», avec des emplois à 400 euros pour 60 heures par mois « dans les secteurs aussi variés que la distribution, le nettoyage industriel, les soins aux personnes âgées… », quand on ajoute que près de 12 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté alors… la sarabande parait bien triste, surtout pour les non-européens : là où ils étaient 135 000 intérimaires en décembre 2011, ils sont 150 000 en juin 2012. Les chiffres que m’a transmis l’Agence fédérale sont très précis : 135 736 au 31 décembre 2011
et 149 878 au 30 juin 2012. Soit une augmentation de 14 142 intérimaires en six mois.

Les étrangers y sont surreprésentés

Le coup de jus de l’Agenda 2010, c’est le coup de fouet qui a permis la fameuse compétitivité allemande réalisée sur le dos des intérimaires, où les non-européens sont fortement représentés, comme ailleurs. Là où chez les nationaux Allemands, les Allemands eux-mêmes représentent 5,8% de Sans Emplois, pour les étrangers c’est deux fois plus : ils représentent 11,8% de leur population, selon Destatis, l’office allemand de la statistique. Et pour l’intérim, l’inégalité est encore plus frappante : les étrangers y sont de plus en plus surreprésentés avec, sur l’ensemble des intérimaires, près de 15%.

Alors, peut-être plein le dos, les étrangers se sont mis à créer des entreprises, à un rythme effréné qui n’est pas prêt de s’arrêter. « Les personnes issues de l’immigration constituent 11% des nouveaux entrepreneurs alors qu’elles ne représentent que 9 % de la population allemande ». Selon une étude de l’Association des Chambres de commerce et d’industries allemandes, en 2010, les immigrés ont créé 150 000 emplois. Soit sur l’ensemble des emplois créés : 1 emploi nouveau sur 3.

 


dolpi@maisondespotes.fr